Dossier confidentiel
Louis Guilloux« La tempête, cet hiver-là, soufflait avec tant de violence, que les ardoises du toit s'entre-choquaient comme des castagnettes. « Les ardoises grelottent »,disait la tante. Et si le vent en arrachait une, on l'entendait glisser, siffler en l'air et s'abattre sur le pavé de la cour, avec un claquement bref et plat, pareil à celui de deux mains frappées l'une contre l'autre. Près du fourneau, allumé toute la journée, je demeurais assis les jours de congé, un livre ouvert devant moi. La tante s'occupait à recoudre des hardes, à repriser des bas. Elle paraissait s'effacer, pour que l'oncle ne la vît pas, et ne lui fît pas de reproches. Etendu dans sa chaise longue, près de la fenêtre, son éternel cigare aux lèvres, l'oncle lisait et feignait parfois de s'assoupir. Dans la salle à manger, haute et glaciale, séparée de la cuisine par une étroite cloison de briques, battait sans arrêt le balancier d'une ancienne horloge de campagne. Jamais le vent n'était assez fort pour en couvrir la voix. »
Dossier confidentiel (Les Cahiers Rouges t. 76) par Louis Guilloux